29 avril 1917
Source ID: 55
« Un récit du correspondant berlinois de l’Allgemeines Handelsblad
Le reporter observait le jeu coquet d’un aviateur anglais qui, enveloppé par les éclats des obus des canons de défense allemands, semblait défier les aviateurs allemands. Soudain, un avion aux couleurs voyantes, avec des croix noires sur les ailes, survola l’avion ennemi. « Richthofen ! » s’écrièrent les soldats. Une chasse effrénée commença alors, avec des virages serrés, des boucles et des cercles. Mais l’avion allemand resta constamment au-dessus de l’Anglais et poussa son adversaire de plus en plus bas vers le sol, aussi habile fût-il dans ses manœuvres. Les tirs défensifs se turent. Comme deux oiseaux amoureux par un soir de printemps, les deux avions jouaient l’un avec l’autre. Mais le sifflement séduisant des deux avions était sinistre : le tat-tak-tak de leurs mitrailleuses à bord résonnait avec une vitesse effrénée, dur et cruel. Soudain, l’Anglais plongea en direction du sol. De plus en plus bas… À plusieurs kilomètres de mon poste d’observation, il s’écrasa au sol. Il gisait écrasé sous son appareil. Richthofen avait neutralisé son cinquantième adversaire. Le soir même, il ajouta deux autres victimes à sa glorieuse série.
Quelques jours plus tard, je m’entretins en personne avec le capitaine. C’était encore un jeune homme, âgé d’au plus vingt-cinq ans, avec des yeux bleu clair au regard bienveillant et une bouche au sourire chaleureux. Que pouvait-il me raconter ? Il ne volait que depuis peu. Il avait eu de la chance. Les avions allemands utilisés actuellement n’ont rien à envier aux avions français et anglais. Les aviateurs allemands ne manquent pas non plus d’audace. Et le fait que son escadron ait eu particulièrement de la chance – il a abattu cent quarante ennemis, tandis que seuls deux membres de son escadrille ne sont pas revenus – est principalement dû, selon von Richthofen, à la meilleure précision de tir des aviateurs allemands. Mais il faut respecter les aviateurs anglais. Ce sont des hommes courageux, des sportifs tenaces, qui ne considèrent désormais plus le vol comme un simple sport, mais aussi comme une science. Ils sont des adversaires plus sérieux que les Français, qui ne manquent certes pas de courage et d’assurance, mais qui se fient trop à leur élégant instinct. Le jeune capitaine raconta tout cela sans aucune vantardise. Un homme qui a connu la dure réalité de la vie au cours de centaines de combats aériens est bien conscient de sa renommée, mais il sait que le moment peut venir où il subira le même sort que Boelcke et Immelmann. Celui qui doit être prêt jour et nuit à entreprendre l’aventure la plus dangereuse de la guerre, aussi jeune et célèbre soit-il, ne comprend pas la vantardise. Ses nerfs sont comme les câbles de tension de son avion, solides et toujours tendus. Sa bouche reste fermée, son regard calme. Il était donc très difficile de faire parler von Richthofen. Pourquoi les avions de son escadron sont-ils peints de couleurs si vives ? C’est un hasard. Ses premiers avions avaient, Dieu sait pourquoi, une couleur vive. Les Anglais le reconnaissent donc lui et ses camarades au premier coup d’œil. Il a accompli son exploit le plus rapide il y a quelques semaines seulement. Un matin, il était encore au lit dans une ville voisine. On l’a réveillé en lui annonçant qu’un avion ennemi était en vue. Se lever ? Rester couché ? Il se lève. Il enfile sa fourrure par-dessus son pyjama et met rapidement son casque. Il se précipite en voiture vers le hangar. Il s’envole dans les airs. Un quart d’heure plus tard, von Richthofen était de nouveau dans son lit. L’Anglais avait mordu la poussière. Peu de temps après, un avion « Spad », le dernier modèle des aviateurs de l’Entente, se trouvait dans le hangar de Richthofen. Le siège du pilote, les ailes, la mitrailleuse étaient couverts de taches de sang. La balle avait dû traverser une artère de l’Anglais. Avec de telles images en tête, le jeune homme téméraire devint un homme sérieux et taciturne. »
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