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Les obseques du Corsaire Rouge

Event ID: 655

25 April 1918

49.97323642687367, 2.2927864127167634
Bertangles

Source ID: 55

Ein Heldenleben, Ullstein & Co, 1920

Bericht der „Matin“ vom 25. April 1918

La Mort de Richthofen

LES OBSEQUES DU CORSAIRE ROUGE

En Santerre, 23 avril
…Une de ces grand’routes picardes qui, poudroyantes de silex, semblent un ruban de voie lactée tombé du ciel en plaine. Le vent du nord y galope à perdre souffle. Comme décapées à son mordant, les lignes de l’horizon, les silhouettes des arbres s’inscrivent en arêtes plus vives sur le bleu froid de l’air. Ses risées aigues secouent avec rudesse les pignons de toile brunâtre d’un campement d’aviation qui, au large de la route, a planté ses wigwams. C’est dans l’un d’eux qu’a été transporté après sa chute le corps de l’as des as allemands, le rittmeister des quatre  escadrilles rouges, le capitaine baron Manfred von Richthofen.

On lui a fait un lit de parade de caisses à moteurs drapées de couvertures d’ordonnance. Un jour funèbre, glissant par l’unique ouverture de l’entrée, dilue ses reflets blafards dans la pénombre. Un chirurgien, penché sur le cadavre, dont le torse est à décourt, scrute et suppute les  blessures. Il en a relevé six, toutes à balles de mitrailleuses. L’une s’étoile, visible, au côté droit. Une autre saigne juste au-dessous du cœur. La face, quoique intacte, est demeurée convulsée des affres de la chute, face blonde et lourde de Germain, à la mâchoire accusée, aux lignes pesantes, et où toute spiritualité, s’il y en eut, s’est éteinte avec le regard. J’ai vu cent fois de ces visages inexpressifs parmi le ramassis moutonnant des prisonniers. Son avion est là, sur la berge d’un bas chemin. Le rouge sombre des ailes déchiquetées baigne l’herbe d’une tache
de sang. Son exiguité déconcerte. On a l’impression d’un jouet d’une extrême fragilité. Il y avait à bord sept disques de mitrailleuses, deux fois plus que n’en emportent d’ordinaire les caravelles de chasse. Comment mourut-il? La version la plus vraisemblable est celle-ci. Je la tiens d’un des six qui se disputent amiablement l’honneur de l’avoir abattu. Il engagea le combat avec quatre des siens contre trois des nôtres, dimanche vers midi, au-dessus de Sailly- le-Sec. Selon la tradition parmi les corsaires rouges, il laissa ses compagnons donner les premiers coups d’aile et rabattre la proie jusqu’à l’instant décisif où, piquant d’un trait, il devait foncer, en matador, pour donner l’estocade. Mais les nôtres, cette fois, réussirent à l’isoler. Une première balle le toucha. Blessé, mais non vaincu, il se laissa tomber en feuille morte, pensant pouvoir, à vingt mètres du sol, se redresser et s’esquiver. Mais cinglé par les mitrailleuses volantes et pris aux rets de celles qui le guettaient à terre, il s’abattit, foudroyé.

…Cinq heures, l’heure fixée pour les obsèques: obsèques sans autre apparat que celui, spartiate et nu, des honneurs guerriers. Le cercueil, peint en noir, s’est clos sur la dépouille. Une plaque d’aluminium y porte en deux langues cette simple inscription:

Capitaine de Cavalerie

Manfred, Baron de Richthofen
25 ans
Tué dans l’action en combat aérien
le 21 avril 1918.

Six officiers, tous pilotes, portent le cercueil sur leurs épaules, jusqu’au char funèbre figuré par une remorque d’aviation. Douze soldats en double haie forment la garde d’honneur. Ils portent le fusil incliné sous le bras, crosse en avant, selon le cérémonial, et marent à l’allure traditionelle d’un pas à la seconde. L’aumônier militaire anglican, en side-car, et son surplis en sautoir dans une musette de soldat, précède le cortège. Quatre aviateurs français, venus par les routes de l’air, et une cinquantaine de soldats, rangés par quatre, ferment la marche. Devant la fosse creusée en un coin réservé de l’humble cimetière picard, le padre a revêtu le surplis blanc et noir et passé l’étole que ponctue la double tache rouge et bleue du ruban du D. S. O. Tandis qu’il psalmodie les paroles d’adieu et de miséricorde, trois salves déchirent l’air, cependant qu’une
ronde lente d’avions, dans le vent hautain, épand le largo impressionnant de ses orgues. La cérémonie est terminée. La gloire de celui que porta jusqu’au ciel l’impétuosité de son orgueil, comme les siens cherchent à l’étendre sur l’horizon, n’est plus qu’un peu de cendre sous terre. N’est-ce pas tôt ou tard le destin symbolique des présomptions allemandes qui ne se sont exaltées si avant et si loin que pour retomber de plus haut? Sans doute viendra-t-il un jour où nous leur ferons, à leur tour, de simples et calmes funérailles.

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